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Annaba brise le silence: Chômage, malvie, harragas

Publié le 18/01/2008

Les problèmes inhérents au chomage et à la malvie des jeunes ne sont pas l’apanage de Annaba la Coquette, loin s’en faut. Elle a le triste privilège de les partager avec les autres contrées du pays.

En l’espace d’une semaine seulement, Annaba a occupé le devant de la scène. Ce sont les jeunes de la ville qui lui ont donné cette opportunité. Elle aurait pu s’en passer, si le chômage n’était pas une réalité trop amère, et si le drame des émigrants clandestins ne venait pas trop nous rappeler les ratés d’une gestion qui ignore les faibles et ceux qui souffrent. Par ailleurs, ces problèmes inhérents au chomage et à la malvie des jeunes ne sont pas l’apanage de Annaba la Coquette, loin s’en faut. Elle a le triste privilège de les partager avec les autres contrées du pays. Et encore, si les chômeurs qui ont fait le siège d’Arcelor Mittal sont originaires de la ville, les harragas eux viennent plutôt des wilayas de l’intérieur du pays : Batna, Biskra, Souk Ahras, Msila.

La chose est désormais claire : la lutte contre le chômage sera la mère des batailles des prochaines décennies. La manipulation des chiffres, pour faire croire à une baisse du taux des sans emploi ne peut longtemps occulter la réalité. Si les statistiques donnent lieu à d’âpres et passionnants débats entre différents canaux, elles n’empêchent pas néanmoins les chômeurs de ne pas être que de simples chiffres qu’on ligne pour faire joli dans les rapports officiels.


La grogne qui a grondé à Sidi Amar, près d’El Hadjar, avant de se transformer en échauffourées entre jeunes et forces de l’ordre, est une preuve bien vivante de ce malaise. L’accès principal au complexe avait été bloqué par de jeunes chômeurs, amenant les forces de l’ordre à faire usage des lances d’arrosage pour disperser les attroupements. Ces jeunes avaient espéré un moment, surtout que des promesses leur avaient été faites, qu’ils pourraient prendre la place des 1500 départs à la retraite, mais il semble que les choses se passent autrement. Toujours est-il que huit jeunes qui ont été interpellés devront comparaître le 17 janvier prochain devant la justice, mais un tribunal est-il l’instance la plus qualifiée pour régler les problèmes de chômage ?
Cette jacquerie des jeunes chômeurs n’est pas finie que dans la semaine même le phénomène des harragas est revenue à la Une des journaux, toujours à Annaba. Selon le groupement territorial des gardes-côtes (GIGC) de Annaba, 38 émigrants clandestins ont tenté de mettre le cap sur la rive Nord de la Méditerranée, probablement vers les îles italiennes de Lampedusa ou de la Sicile, avant d’être interceptés à 400 mètres du rivage, entre la plage de Sidi Salem, d’où ils avaient embarqué sur des radeaux de fortune, et la plage Seybouse. On a fait part, également, dans la même journée de l’interception de 20 émigrants clandestins à plus de 80 miles nautiques, au nord d’El Kala. L’arrestation de ces harragas, qui étaient à bord d’une embarcation artisanale, a été rendue possible grâce à un cargo étranger qui a donné les coordonnées de leur position aux gardes-côtes algériens.

L’exil, le drame
Mais le feuilleton des harragas était loin d’être fini. Samedi matin, on apprenait que 51 autres jeunes clandestins, originaires de Annaba, ont été sauvés in extremis par les gardes-côtes italiens dans la nuit de mercredi. Mais pour cinq dizaines de rescapés, combien d’autres périssent au large, dans l’anonymat et les eaux glaciales de la mer, disparus à jamais.

Selon un bilan partiel fourni par le ministère de l’Intérieur, il est question, au cours de l’année écoulée, de quelque 85 corps repêchés, dont près de 70 pour cent sont méconnaissables, à cause de la vase recouvrant leur corps ou de la décomposition.
C’est donc loin d’être une croisière de plaisance ou une odyssée agréable. La traversée de la mer sur des rafiots bricolés comporte sa part de risque et ses dangers. Les candidats à l’exil ne le font certainement pas de gaieté de cœur, même si les passeurs, organisés en véritables réseaux mafieux, leur tendent le miroir aux alouettes.
Voici donc deux images chocs que nous renvoie l’actualité, à partir de la ville historique de Annaba : celle du chômeur qui bloque les accès d’une usine, avant de s’engager dans des batailles rangées avec les forces de l’ordre, et celle de l’émigration clandestine, dans l’indifférence, au petit matin. Deux images, deux recours, deux tentatives ultimes pour ceux qui ont essayé toutes les autres possibilités, et qui sont laissés en rade par le train du développement.
C’est que l’actualité est trop pressée. Elle procède par raccourcis fulgurants, ne vous laissant pas le temps de prendre du recul pour voir ce qui se passe. Marche ou crève ! semble-t-elle nous dire.
Tout comme le chômeur, le harraga est un acteur figurant dont le nom n’est pas en haut de l’affiche. On ne lui donne pas l’occasion de débiter sa tirade. Dans le burnous de la brume marine, serré contre ses frères d’infortune dans un esquif livré à la colère des flots, ou dans un rassemblement de chômeurs, sa voix est perdue à jamais dans les méandres de l’anonymat. Le droit à la vie, connais pas. Ni le rêve d’un bonheur hypothétique. Il n’y a que le radeau de la méduse, charmeur, mais qui mène à l’abîme.
Chômeur ou harraga, ce ne sont que des citoyens hors normes, hors cadre, hors service, hors tout.
Annaba la Coquette, la ville de Saint Augustin, de Hassan Derdour, de Kateb Yacine et de Nedjma, de Slimane Ben Aissa qui avait dirigé la troupe du TRA, de Hassan el Annabi, et qui a longtemps disputé à Constantine le titre de capitale de l’Est, cela est encore plus triste.
Déjà, la tomate industrielle, victime des manoeuvres des importateurs, est sur le point de rendre l’âme. Elle faisait pourtant la fierté des agriculteurs locaux.

Anarchie et tension
Qu’est devenue Annaba ? Non, ce n’est ni une chanson ni une imprécation. Il s’agit seulement de souligner que la ville du Jujubier, est l’exemple même de ces villes méditerranéennes où il fait bon vivre, mais que cette couronne a des épines. L’industrie lourde, autour de l’acier, du phosphate, de l’ammoniac et d’autres produits chimiques, est trop vite arrivée. Non seulement, les usines et les complexes, les ateliers ont pris leurs quartiers dans les plus beaux vergers et fermes qui ornaient la ville, mais en plus une ceinture de bidonvilles, dans lesquels sont vite s’engouffrer des milliers de familles attirés par le nouvel eldorado, est venue s’ajouter au décor. Une ruée qui a vite fait de transformer une cité paradisiaque, beaucoup plus station balnéaire et de villégiature, en gigantesque mégapole incontrôlable défigurant le paysage urbain. Certes, la poussée démographique qui a apporté dans son sillage l’anarchie et les tensions quotidiennes n’est pas l’apanage de Annaba, mais ici on le ressent plus qu’ailleurs. Parce que le déséquilibre est vite apparu entre les capacités de cette cité millénaire et le fleuve humain apporté par l’exode rural.

Une ville faite pour 100.000 habitants peut-elle du jour au lendemain s’apprêter à en accueillir cinq fois, sinon dix fois plus ? Cela s’est passé au tout début des années 70. Mais les ouvriers de la zone industrielle, qui étaient venus des alentours, ont eu des enfants, qui, aujourd’hui, sont âgés de trente et quarante ans. Ils ne savent rien des champs et des bourgs dans lesquelles avaient vécu, travaillé et procréé leurs aïeux, ignorant tout des brebis qui donnaient du lait, des poules qui pondaient des œufs, des moulins qui broyaient l’orge et le blé. Ils ne connaissent de la vie que ces masses informes de carcasses, de bâtisses, de ruelles à la chaussée défoncée, de fumée qui sort des cheminées et des fourneaux, de chaînes et de cohues des matinées brumeuses pour acheter le sachet de lait et les œufs en plaquette. Ils ne connaissent rien de la mer qui est pourtant juste à côté, à portée de main, parce que les plages sont polluées et parce que les baignades c’est pour les autres. Pour eux, la Méditerranée n’est qu’un espace marin qui les sépare de la vraie vie, celle qui se trouve de l’autre côté, sur la rive nord.

Cri de detresse
Mais, maintenant, il faut faire avec, n’est-ce pas ?
Il est vrai, certes, qu’une ville se développe par le charbon, l’acier, les engrais, le labeur des hommes, mais cela doit-il se faire n’importe comment ? Peut-on sacrifier la qualité de la vie au seul bénéfice de l’industrie ? De toute façon, l’expérience a bien montré qu’on peut développer un pays tout en respectant la nature, mais surtout en créant une symbiose et une harmonie entre l’homme et son environnement. C’est parce qu’en Algérie on n’a pas compris cet impératif qu’aujourd’hui nous en payons le prix, à travers ces vagues de harragas, ces émeutes de chômeurs, ces dizaines de kamikazes.

Mais que disent donc tous ces jeunes qui prennent le large, au péril de leur vie, ou encore font le siège d’un complexe sidérurgique en affrontant les forces de l’ordre ? Ils lancent des cris de détresse. Ils tendent la main pour qu’on leur jette une bouée de sauvetage. Ils ont besoin qu’on les écoute, qu’on prenne en compte leurs doléances. Que demandent-ils en somme ? Un emploi, un toit, un peu de considération. C’est peu, et en même temps c’est énorme. Pour eux, il s’agit seulement d’avoir une petite place au soleil dans ce beau pays d’Algérie.

Le midi libre > 17/01/08 > Rachid Mechtras

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