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Annaba. Aziz Zerari: Couturier et spécialiste de la fetla annabie

Publié le 19/02/2011

«Création cherche relève»

Aziz Zerari AnnabaMéconnu du public algérien mais réputé au Moyen-Orient, en Europe et en Amérique, Aziz Zerari est l’un des rares couturiers à détenir les secrets de la fetla. Dans sa boutique à Alger, règnent des dressings de robes traditionnelles, de karakou, des tableaux et des croquis.

Des mannequins sont également habillés par un ensemble aux courbes parfaites et à la broderie étincelante. Rencontre avec ce styliste humble et très cultivé dont l’imagination et la création n’ont  pas cessé de nous étonner.

-Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’emprunter l’univers de la mode ?

Tout petit, j’ai été fasciné par la fetla quand ma mère m’emmenait avec elle dans des cérémonies. C’est ainsi que toutes mes appréciations sur mes cahiers d’écolier disaient «très bon élève mais rêveur». Les marges de mes pages de cahiers étaient remplies d’essais d’entrelacs de fetla que j’essayais de reconstituer en pensant au vêtements que j’avais vus au dernier mariage. C’était mon petit jardin secret qui deviendra plus tard mon univers. Issu d’une famille de grande tradition et d’une zaouïa, cela aurait été un crime de faire part à mes parents de ma  passion  de toujours. Mon père me voulait militaire (il le fut lui même) et ma mère me voulait médecin. Le sang et les armes à feu étant loin d’être à mon goût, je ne tarderai pas à les décevoir et  me dirigeai vers la littérature et les langues.

-Les arts et les lettres ne s’épousent-ils pas ? Quelle a été votre formation ?

Durant ma période de recherche de doctorat à Bruxelles, je me suis inscrit discrètement à l’école des arts et métiers en design et haute couture dames. La frustration commençait à se dissiper. Reste la fetla. Après un séjour de quelques années aux Emirats où j’ai passé de longs moments assis sur une natte à contempler dans leurs échoppes les brodeurs indiens et pakistanais qui travaillaient au luneville, (point réalisé avec un crochet sur métier), j’ai compris définitivement que je n’avais qu’une seule raison de vivre. De retour à Annaba, j’ai eu la grande chance de retrouver une tante par alliance dont la grand-mère était disciple des brodeurs juifs bônois qui excellaient dans la fetla.

Elle ne m’a rien montré mais elle ne m’a rien caché non plus. Le début de ma grande aventure commençait. Un défi personnel à percer le mystère des entrelacs me fit veiller de longues nuits et de me réveiller à des heures impossibles rongé de n’avoir encore rien trouvé ! Peu à peu et à force d’une persévérance qui me surprenait moi-même, les portes du labyrinthe finissaient par s’entrebâiller.  En ayant transposé la fetla du vêtement au tableau (jusqu’à la calligraphie arabe)  j’ai réussi à rehausser l’unicité de cet art et lui donner une dimension internationale. Il me reste à présent l’idée de pépetuer cet art afin qu’il ne retombe plus dans la mansuétude et l’oubli et surtout éditer un beau livre pour qu’au jour J par ma destinée, j’aurai bonne conscience d’avoir remis à mon pays le bonheur d’avoir vécu avec la fetla.

Selon vous, la fetla est le fleuron de la broderie bônoise ?

La fetla se promène un peu partout en Algérie sauf qu’à Annaba, elle se trouve plus développée Elle est de loin le fleuron de la broderie annabie. C’est ce qui m’a permis de la développer à mon tour de cette façon. J’ai fait beaucoup de recherches parallèlement au côté technique de la fetla. Elle se perd dans la  nuit des temps. Je pense que personne ne pourra affirmer quoique ce soit concernant les origines de la fetla. Je peux vous dire qu’elle a  été développée en Algérie sous l’époque turque parce qu’il m’a été donné de voir au musée de l’armée d’Istanbul quelques caftans de janissaires  qui comportaient des motifs que je retrouve actuellement dans l’Algérie contemporaine. Est-ce que ce ne sont pas les Turcs qui se sont inspirés  en occupant l’Algérie de notre fetla ou l’inverse ? Il  faudrait faire de longues recherches pour le confirmer. De toutes les façons ce que je peux préciser de façon radicale, c’est que la fetla algérienne ne se trouve nulle part au monde

-Vous avez une riche panoplie de motifs de broderie...

J’innove. Il ne se passe une soirée dans ma vie sans qu’une idée nouvelle vienne  à la tête et que je couche sur papier. Je pense que je quitterai la terre sans avoir eu à broder tous les motifs. La fetla est une composition de plusieurs motifs. Il y a trois critères : la symétrie, l’harmonie et la faisabilité sur le plan technique. Il faut que j’obéisse à ces trois critères en prenant mon crayon. C’est-à-dire en dessinant les motifs de la fetla, dans  ma tête, je les brodent pour que les brodeuses  sachent par où passer et revenir au même point. J’ai créé près 8000 motifs mais je pense que dans ma tête, ils ne se comptent plus. Je refuse de me copier. Il m’a fallu des années pour instaurer dans ma tête une autocensure pour que le crayon obéisse à certains neurones. Depuis quelques années, je maîtrise complètement la chose. Quand je prends un crayon, il y a un blocage de tout ce que j’ai fait avant.

-Ayant un atelier à Annaba et une boutique à Alger, vous caressez le rêve d’ouvrir un centre de formation ?

J’ai pignon sur rue à Alger et à Annaba.Je suis sans prétention aucune, le moteur  du véhicule. Si je m’arrête, tout le monde s’arrête. C’est ce qui est dommage. Sans moi, rien ne pourra se faire. J’ai remis un dossier bien ficelé à la wilaya d’El Tarf pour un projet pilote pour éventuellement ouvrir un petit centre de formation, pour prendre dans ma maison de couture, 100 à 120 jeunes filles qui seraient sanctionnées  tous les 18 mois par un diplôme en haute couture pour leur transmettre le savoir occidental que j’ai eu la chance d’avoir à Bruxelles et les initier à tous les styles de broderies confondus. J’attends des retombées. Je leur ai proposés de faire cela gratuitement, moyennant en quoi, à la fin des études, les meilleurs élèves seraient  embauchés chez moi. D’une part, je fais de la formation gratuite et d’autre part, je résorbe le chômage à ma manière. Tout ce que j’espère, c’est d’être entendu et ce projet pilote fera des émules en Algérie.

-La relève est-elle assurée ?

La relève est  assurée  sur le plan du point mais pas de la création. Les jeunes tombent dans le piège du gain facile et du bricolage. Je leur en veux un peu de malmener cet art si noble qui fait partie de la culture algérienne. Evidemment, ils sont encouragés par une clientèle de mauvais goût. Le gain facile  a encouragé beaucoup de choses. Si on veut faire de belles choses, il faut avoir l’ambition et l’engouement de les faire.

-Comment se porte le monde de la haute couture en Algérie ?

Je vois beaucoup de bricolage autour de moi. La fetla n’est maîtrisée par personne.On se met à imiter. Vous savez en broderie, pour se permettre des fantaisies, il faut  d’abord avoir une base. Je m’aperçois autour de moi que très peu de gens l’ont. Tout le monde s’érige en couturier. J’ai eu la chance de discuter avec certains d’entre eux, au bout de quelques minutes, j’ai compris qu’ils n’avaient absolument rien à voir avec cette noble tâche. On aime beaucoup ce qui se fait ailleurs mais on oublie que nous avons des trésors enfouis chez nous. Je pense qu’il faut avoir une base algérienne  avant d’aller la chercher ailleurs.

-Des projets en perspective...

Je compte organiser prochainement à Alger une exposition de tableaux. J’ai transposé la fetla sur la toile. J’ambitionne également de publier deux ouvrages : l’un sur l’historique de la fetla algérienne à travers les siècles et le second sur les splendeurs et le déclin d’El Andalous. J’aimerais également organiser une gigantesque exposition à l’Institut du monde arabe à Paris.

Nacima Chabani [EL WATANE - 19-02-2011]
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