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"L’irrésistible ascension de Moh Sberdina"

Publié le 12/02/2019
"Quand Moh Sberdina fut à bout de force, il quitta le collège complètement dégoûté des cours, des cahiers, des livres, des profs, des devoirs et du suspense qui lui tournait le sang chaque jour dans l’attente du doigt menaçant de l’enseignant -et surtout de l’enseignante- qui le désignerait pour monter au tableau. Il haïssait aussi le tableau, noir ou vert, en bois ou en métal. Il avait en horreur tous les élèves qui avaient la moyenne ou plus et spécialement ce bâtard de premier de la classe qui profitait de la situation : il ne traînait jamais dehors après dix-huit heures, ne partait jamais en expédition à la campagne pour chasser les gerboises et, en plus, était d’une propreté de fils à maman insupportable. Moh occupait impérialement la dernière place du classement et même si son père en avait honte, lui en rigolait franchement avec ses copains du fond de la classe abonnés au radiateur. Il s’absentait déjà souvent. Il n’allait à l’école que contraint et forcé, quand son père l’accompagnait ou quand il y avait un examen à passer. Ayant longuement réfléchi à l’utilité de l’école, des livres et du savoir, il décida qu’en réalité, il n’en avait aucun besoin. Après tout, Kada, le grand avant-centre allait bientôt jouer en équipe nationale sans avoir jamais fréquenté l’école. Cadavre, le vendeur de vêtements, n’avait pas dépassé le Certificat de Fin d’Etudes. Makhlouf-passe-par-là était allé jusqu’en troisième mais c’était parce que son frère était enseignant. Il était aujourd’hui le leader de la friperie au souk el Asser. Tout bien réfléchi, Moh Sberdina trouvait que l’école avait usurpé sa réputation de fabrique de citoyens destinés à réussir. Il commença par s’introduire auprès du photographe du quartier en allant lui chercher le thé au café du coin. Il courait dix fois par jour jusqu’au comptoir pour revenir à toute vitesse avec le verre de thé qu lui brûlait les mains. En deux ans, il avait escroqué le vieux photographe et pris possession de sa boutique. Personne n’a jamais su comment il avait fait mais depuis, tout le monde a compris quel débrouillard il était, combien il était malin, et tous ses anciens camarades de l’école, y compris le premier de la classe, lui témoignaient un respect nouveau quoique légèrement terrifié. A vingt ans, il avait acheté sa première voiture et déposé des arrhes pour un terrain à construire. Les gens du patelin n’en revenaient pas de voir qu’un petit salon photo pouvait produire autant de richesse. Ils mirent tout ça sur le compte de la jeunesse, la débrouillardise de Moh et son sens des relations publiques. Les mauvaises langues prétendirent qu’il traficotait un peu plus qu’il ne travaillait. Certains allèrent même jusqu’à insinuer qu’il faisait chanter la belle Meskia après l’avoir photographiée toute nue. D’autres hypothèses malveillantes coururent mais personne ne put jamais rien prouver. Un jour, Moh Sberdina disparut. D’un coup, il n’était plus là. Les supputations allèrent bon train jusqu’à ce qu’un voyageur revenu d’Alger racontât que Moh s’était installé dans la capitale et avait proposé ses services de reporter-photo à un journal national. Toute la petite ville en parla pendant tout le ramadan. Devinez quoi ? Vous allez rire : Moh Sberdina est aujourd’hui le patron du journal... En moins d’un mois, Moh Sberdina installa un régime de terreur dans la rédaction et chez le personnel administratif. Dès son premier jour en tant que directeur, il arriva accompagné d’un type sombre et silencieux. Il commanda à tue-tête dans le couloir « Un café pour SI Ali ! » et aussitôt la rumeur partit vers la salle de rédaction où les supputations explosèrent en feu d’artifice. La secrétaire qui porta les cafés fut chargée d’observer et de rapporter. Moh en profita pour l’intoxiquer en redoublant d’obséquiosité envers son invité. Au bout d’une semaine, il était évident pour chaque journaliste et pour chaque employé que le DRS avait une antenne au journal.La semaine suivante, quatre véhicules noirs s’arrêtèrent devant le journal et sept hommes en descendirent. Krimo de la rubrique sportive annonça à voix basse :« La section Sport et Musique est officiellement installée ! » Tout cela arriva aux oreilles des membres du conseil d’administration. Ceux-ci envoyèrent des espions censés être invisibles et discrets. Moh les intoxiqua à leur tour en s’en tenant à une propagande constante et modeste. Cette modestie donna un crédit total aux apparences qu’il s’efforçait de montrer à tout le monde. Au bout de vingt jours, le principal actionnaire, pour la première fois dans l’histoire du journal, se rendit au bureau de Moh. A partir de ce moment-là, tout le journal mit un genou à terre et commença à passer à Moh une pommade odorante et même sonore. Tout le journal ? Non : un réduit de quelques journalistes entêtés résistait à l’enfumage ; mais nous en reparlerons plus tard. Sans avoir rien prétendu, sans avoir menacé qui que ce soit et sans ostentation, Moh Sberdina avait parachevé sa conquête du journal en mettant à sa botte les propriétaires. Ceux-ci, déjà introduits dans le monde des affaires et disposant de réseaux, s’empressèrent de l’en faire profiter. Le seul souvenir heureux de sa scolarité était l’opération de l’addition : il avait tout de suite compris que toutes les autres opérations découlaient ou dérivaient de l’addition : multiplication, division ou soustraction, ce n’étaient que des variantes de l’addition que les profs, ces nuls, complexifiaient pour faire les intéressants. Moh additionna donc les réseaux, les relations, les liens que lui apportaient les autres sur un plateau en croyant eux-mêmes qu’ils se rendaient service en aidant un homme aussi puissant. Mais la puissance de Moh résidait dans la prestidigitation : toute sa puissance, c’étaient eux qui la construisaient à partir du néant. Sberdina décida alors d’explorer encore les avantages de l’addition. Il appelait ça « L’opération du ’plus’ » n’ayant jamais retenu le mot ’addition’, peu évocateur pour son cerveau efficace. Le mois suivant, il découvrit que le journal était à sa disposition : emprunt, frais de mission, commissions sur la publicité...tout était bon pour se remplir les poches. Sa vie sociale se trouva également transformée. Il découvrit les cocktails, les colloques, les réceptions dans les ambassades ou dans les ministères, toutes manifestations où il ne laissait personne d’autre assister. Il était partout. Il s’entoura de maitresses. Certaines eurent le statut de favorite. Il était loin, le temps où il portait le thé brûlant au photographe du quartier ! Moh Sberdina se réveillait parfois la nuit en se tâtant les côtes : il s’imaginait devenu gigantesque à force de grossir, aussi bien physiquement que financièrement. C’était comme si le rêve s’alimentait tout seul. Comme si le vent générait encore plus de vent. Et il y avait avis de grosse tempête : il découvrit la corruptibilité totale du monde, bien loin de ce qu’il avait imaginé et déjà constaté. Le journal se mit au service des gens importants : ministres, hauts gradés, responsables du port, de l’aéroport, de la police et même des prisons ! Les journalistes devinrent des petits soldats chargés de la réclame pour les puissants du moment. Il arriva même que là Une prit le parti d’un puissant en phase ascendante contre un puissant en perte de vitesse. Moh Sberdina roulait désormais en 4x4 et il comptait en acquérir un autre de la même couleur. Il n’était pas seulement patron de journal mais aussi baronnet de l’import-export en pleine expansion !". "Le jeune Indépendant Abdelaziz Chorfa 12/02/2019"
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