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"Dahmane El Harrachi : La voix la plus rauque et la plus chaude de la musique algérienne"

Publié le 30/08/2020
"Dahmane El Harrachi : La voix la plus rauque et la plus chaude de la musique algérienne"On sent le chaoui dans la chanson de Dahmane El Harrachi, Dahmane tout court pour les intimes, c’est-à-dire les fans, qui l’adoraient autant que ceux d’El Anka adoraient l’auteur de Sobhane Allah ya latif, qui lui est d’origine kabyle. Par Ali El Hadj Tahar
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Et à croire que tous les maitres du chaabi, cette musique spécifiquement algéroise à l’origine, ne sont pas des Algérois. Qu’on en juge : Hamid Bedjaoui est de Bougie, El Hachemi Guerouabi est de Boudouaou, Amar Ezzahi est de Beni Yenni, Cheikh El Hasnaoui de Taazibt-Ihesnawen, Slimane Azem est d’Agouni Gheghrane, en Kabylie, Matoub Lounès de Taourirt Moussa et même Kamel Messaoudi qui évoque la nostalgie d’Alger, est de Fréha, en Kabylie… Le père d’El Anka, celui de Hadj M’rizek et celui de Boudjemaâ El Ankis sont nés en Kabylie. L’ascendant kabyle domine donc largement dans le chaabi, cette musique populaire au vrai sens du terme, qui n’a pas tardé à rayonner à l’échelle nationale bien qu’elle soit apparue au début du 20e siècle, d’un brassage de genres. Cela traduit on ne peut mieux le métissage et le refus des barrières culturelles, aujourd’hui érigées comme des murs d’intolérance. Dahmane El Harrachi va se retrouver dans le terroir même de cette musique dès son enfance, à El Biar puis Belcourt. Mais d’abord définissons ce qu’est le chaabi : c’est un genre musical algérien, né à Alger et dérivant de la musique arabo-andalouse. Il doit son nom à El Boudali Safir qui, en 1946, alors qu’il était directeur littéraire et artistique de Radio Algérie pour les émissions en langues arabe et kabyle, désigna des musiques provinciales dont faisait partie le medh sous le nom générique de « populaire », dans la langue française. Ce n’est qu’après l’indépendance, et précisément lors du premier colloque national sur la musique algérienne qui s’est tenu à Alger en 1964 que la dénomination officielle et définitive de chaâbi a été adoptée. Riche, le patrimoine lyrique algérois se composait du medh (chant religieux) qui est l’ancêtre du chaâbi, mais également d’un autre genre populaire appelé aroubi et qui puise ses modes dans la musique arabo-andalouse. Cheïkh Nador (décédé en 1926), était le plus célèbre de ces chanteurs mais il y avait une pléiade de meddahine (interprètes du medh) tels que Mustapha Driouèche, Kouider Bensmain, El Ounas Khmissa, Mohamed Essafsafi, Saïd Derraz, Ahmed Mekaïssi, Saïd Laouar, Mahmoud Zaouche.
C’est au début du 20e siècle, dans les fumeries de la Casbah d’Alger où des artistes interprétaient des istikhbar (improvisation musicale et prélude vocal improvisé) dans les modes musicaux sika et sahli tout en s’accompagnant d’un guember, qu’est apparu le chaabi. Au départ, il s’agissait de chants sacrés du medh accompagnés par des instruments à percussion et des instruments à vent. Dans les années 1920, les textes puisés dans les répertoires des poètes du Melhoun a commencé à dominer, tandis que certains meddah ont apporté des notes nouvelles en introduisant des instruments à cordes à l’image des orchestres du aroubi algérois. Par la suite, les artistes ont commencé à adapter les textes et leur interprétation dans les modes andalous de l’école algéroise. Les premiers textes profanes sont de Cheïkh Saïd el Meddah de son vrai nom Malek Saïd qui a réalisé quatre enregistrements qui datent de 1924 et qui sont gardés par la phonothèque de la radio algérienne. Après le décès de Cheïkh Nador, c’est son élève M’hamed El Anka qui prend l’ascendant de l’art musical algérois alors qu’il n’a que 19 ans. El Anka introduit le mandole algérien et devient vite le maitre du medh, à l’avantage des moyens techniques modernes du phonographe et de la diffusion radiophonique. Il jouera un rôle fondamental dans la création du chaabi, qui est issu d’un brassage entre trois sources principales : la mélodie arabo-andalouse, le melhoun et la poésie amoureuse. Il est indéniable aussi que ce genre a subi d’autres influences berbères, arabe, africaine.

Un petit diplôme et un banjo en bandoulière
Dahmane (diminutif d’Abderrahmane), est né le 7 juillet 1926 à El Biar. Son père, Cheikh EI-Amrani, issu du village Djellal dans la wilaya de Khenchela, s’est installé à Alger en 1920 où il devient muezzin à la Grande Mosquée. Après la naissance de Dahmane, la famille déménage à Belcourt, rue Maret, avant de s’installer définitivement à El Harrach. Benjamin d’une famille de onze enfants, l’enfant poursuit ses études jusqu’à l’obtention du certificat d’études, un diplôme qui sanctionnait la fin des études pour la majorité des Algériens qui ont pu aller à l’école et qui préparait au marché de l’emploi. Le certificat d’études en poche, il gagne sa vie en tant que cordonnier puis, pendant sept ans, comme receveur de tramway sur la ligne reliant Maison Carrée à Bab El-Oued. Mais il ne perd pas son temps et s’initie très tôt au banjo, subissant l’influence du chanteur chaâbi Khelifa Belkacem qui, lui, est né à Koléa et a décédé en 1951. À 16 ans, il aimait interpréter les chansons de ce dernier et c’est ce qui lui vaut d’intégrer une troupe d’amateurs avec laquelle il donnait des concerts un peu partout en Algérie. Puis celui qui prendra le surnom de Dahmane El Harrachi, en référence à sa commune de résidence, devient vite un virtuose du banjo que beaucoup de chanteurs chaâbi des années quarante sollicitent pour les accompagner, notamment Hadj Menouar, Cheïkh Bourahla, Cheïkh Larbi el Annabi, Abdelkader Ouchala et surtout Cheikh El Hasnaoui avec qui il se produit pour la première fois au Café des artistes, rue de Charonne à Paris en 1952. Conscient que sa carrière est artistique, Dahmane se rend en métropole en 1949 et s’installe à Lille, puis à Marseille et enfin à Paris, ville où il prend racine, vu l’importance de la communauté algérienne. Quand il traitera de l’émigration c’est donc en connaissance de cause, et quand il aborde des problèmes d’ordre social, c’est parce qu’il a vécu pareilles situations. Durant toutes les années où il se produisait dans les cafés maghrébins des villes de France, il interprétait le répertoire chaâbi en s’accompagnant d’un banjo. En confrontant le répertoire ancien du chaabi issu du melhoun écrit entre le 16e et le 19e siècles, El Harrachi en découvre le décalage par rapport à la réalité de l’immigration et de la langue daridja pratiquée par les Algériens. Il commence alors à écrire ses propres textes, pour se mettre ne symbiose avec ses auditeurs, en puisant dans leur vie, leurs traditions, leurs habitudes, leurs préoccupations et problèmes. C’est un nouveau langage musical et poétique qui nait alors sous la plume et l’inspiration de Dahmane, pendant que d’autres chanteurs continuant à maintenir le chaabi dans le passé, sans se soucier de leur éloignement par rapport à la réalité socioculturelle et économique. C’est un parler nouveau, abordable, compréhensible, serti de paraboles et de tirades bien algéeienne qu’introduit Dahmane, pas uniquement une thématique actuelle. Ces changements lui permettent d’établir une communication en temps réel pas uniquement avec les émigrés algériens mais avec toute la communauté maghrébine installée en France. En 1956, il enregistre son premier disque chez Pathé Marconi, alors que la guerre d’indépendance faisait rage. La chanson a pour titre Behdja baydha ma t’houl (Alger la blanche ne perd jamais de son éclat) et indique son attachement à son pays. Si le banjo et le mandole sont des instruments courants dans le chaabi, Dahmane leur donne des sonorités personnelles, sans ces envolées lyriques d’un El Anka mais avec une tonalité plus intime et pénétrante. Le répertoire de Dahmane est constitué de près de 500 chansons dont il est l’auteur. Cette prolixité donne un cachet particulier à une œuvre où la parole est incisive, parfois moralisatrice. Tantôt solennelle, tantôt ironique, elle met en garde contre l’opportuniste, le menteur, le profiteur… Elle donne des leçons de vie, à un moment où la société était en train de changer et que les brassages unissaient le riche et le pauvre, le citadin et le rural, le cultivé et l’analphabète… Ainsi, elle donne la mesure de changements socioculturels qui font passer d’une époque à une autre. Ces bouleversements vont s’accentuer à l’indépendance, et c’est la morale sociale qu’El Harrachi interprète avec cette voix rocailleuse qui se prête très bien à une thématique très vaste qui passe de la nostalgie du pays, aux souffrances de l’exil ou de la séparation avec l’aimée, de la passion pour sa ville natale à l’amitié, des ravages de l’alcoolisme au mauvais voisin, de la jalousie aux vicissitudes et déboires amoureux…

La voix la plus chaude du chaabi
Joie de la vie se mêlent à ses aléas dans cette œuvre qui prêche la droiture, la rigueur morale, la sagesse, la patience et la tolérance, et qui ne manque pas de fustiger la malhonnêteté, l’hypocrisie, l’ingratitude et la mauvaise foi. En France, la vie n’était pas facile pour la première génération d’émigrés puisqu’ils vivaient dans des foyers, des bidonvilles. Les mariés ne pouvaient pas ramener leurs femmes ni leurs enfants, laissés en Algérie. C’est pour cette catégorie d’ouvriers solitaires et frustrés que Dahmane va chanter, pour égayer leurs soirées dans des cafés et autres espaces underground. C’est toute leur souffrance qui est condensée dans son œuvre mais aussi leur fierté, leur attachement au pays, et leur patriotisme puisqu’aucun expatrié de cette période-là ne pensait à prendre la nationalité française, à se naturaliser, à « tourner », comme on disait à l’époque. Dahmane a pratiquement fait toute sa carrière artistique en France et n’a pas manqué de conquérir le public algérien dès les années 1960. C’est surtout après le Festival de la Musique maghrébine qui s’est tenu au début des années 1970 à La Villette que son œuvre débarque en force en Algérie. Il ne se produit en public qu’en 1974 à la salle Atlas d’Alger où il remporte un franc succès. La télévision algérienne ne manque pas de l’enregistrer par trois fois, comme elle lui a consacré un téléfilm qui a pour titre saha Dahmane (Salut Dahmane) où il joue son propre rôle de chanteur chaâbi. Ce film de Hadj Rahim a été tourné juste avant sa disparition dans un accident de la route survenu le 31 août 1980 à Aïn Benian. Contrairement à ce qui s’écrit ça et là, Dahmane n’était pas considéré comme un paria politique, et ses chansons — ni celles d’Ahmed Saber — n’ont été censurées ou interdites, que ce soit sous Benbella ou sous Boumediène. Le parcours artistique d’El Harrachi se confond avec son itinéraire dans la vie, avec son expérience d’artiste confiant en ses capacités et auquel le public a vite répondu, adoptant et la voix originale et la musique qui n’est pas restée figée dans les modes du chaabi mais qui l’a adapté à sa thématique. De plus, El Harrachi la chanson d’El Harrachi se résume à quelques minutes, alors que tous les autres chanteurs étaient encore prisonniers des longues qacidates. Cette voix originale, dissonante par rapport aux belles voix douces et fluettes, qui n’a son équivalent que dans le blues américain ou dans la pop music et le rock plus tard, n’a pas été du gout du producteur La voix du Globe qui a cru que le chanteur était enrhumé. Ce n’est que plus tard qu’Ahmed Hachelaf, responsable à l’époque chez Pathé Marconi, à Paris, produira le disque en 1956. C’est en tout cas ce que dit le poète Kamel Hamadi dans le documentaire consacré à l’artiste et intitulé Thawratou El Harrachi (La révolution d’El Harrachi), film écrit et conçu par l’Algérien Mourad Ouabbas et réalisé par la Libanaise Farah Alame. Rabbi blani bi ettassa (Dieu m’a affligé du vice de l’alcool), ya kassi alache rak zayed li fi eddemar (O verre pourquoi tu en ajoutes à mon affliction ?) ne sont pas les seules chansons sur ce sujet, mais contrairement aux autres chansons andalouses ou chaabie, où l’ivresse est une source d’inspiration et d’oubli, Dahmane en évoque les fléaux, la dépendance, la perte de temps et d’argent… L’émigration a la part du lion chez cet artiste, et l’une des plus connues sur ce thème est Ya Rayah (Ô partant), qui a connu un grand succès à sa sortie en France en 1973. Elle est l’une des chansons les plus reprises, notamment par Rachid Taha en 1997, mais aussi la plus traduite de la chanson algérienne. Le style El Harrachi se confond avec l’homme. La voix la plus chaude du chaabi est celle d’un répertoire où l’amour est souvent contrarié, malchanceux, où l’homme se juge par ses valeurs humaines… El Harrachi a fait du chaabi une école de vie et d’enseignement de principes fondamentaux à une époque où l’art avait fonction éthique et esthétique en même temps. Dahmane El-Harrachi, ce joyeux et triste bonhomme, est mort le 31 août 1980 dans un accident de la circulation sur la côte algéroise.
A.E.T.
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