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Le Maghreb, terrain de chasse des princes du Golfe

Publié le 13/01/2021
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Algérie - Le safari décadent des émirs du Golfe dans le Sahara

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Avec l’arrivée des températures plus clémentes, les émirs du Golfe commencent à préparer leurs bagages. Direction le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. L’objet de leurs convoitises : le gibier des grandes étendues nord-africaines.

Bouarfa, Tata, Missour, Guelmim… des bourgades loin des cartes postales du Maroc touristique. Pourtant, elles connaissent un tourisme d’un autre genre, quasi-confidentiel. Souvent les habitants de ces petites villes voient défiler des visiteurs en provenance des pays du Golfe. « Ce sont des riches hommes d’affaires, voire des émirs. Ils arrivent avec de grands 4×4, installent des bivouacs de luxe pour quelques jours durant lesquels ils s’adonnent à la chasse à l’outarde », raconte un habitant de Tata (à 450 kilomètres de Marrakech).


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« En 2014, le petit aéroport de Bouarfa a été transformé en pavillon d’honneur avec la présence d’un ministre et du wali de la région, venus accueillir en grande pompe le défunt émir du Koweït, venu chasser dans la région », se souvient un ancien fonctionnaire de cette ville à la frontière algérienne (à 270 kilomètres d’Oujda).

Arsenal de chasse
Feu Ahmed Jaber Al-Sabah n’est pas la seule tête couronnée des monarchies pétrolières du Golfe à avoir posé son arsenal de chasse au royaume. L’ancien émir du Qatar et père de l’actuel souverain Hamad Ben Khalifa Al Thani était aussi un habitué des lieux et s’est même vu offrir, en 2011, une réserve de chasse s’étendant sur une superficie de 45 000 hectares, non loin de la ville de Guelmim (à 200 kilomètres d’Agadir). Mohammed Ben Rachid Al Maktoum, l’émir de Dubaï, est lui aussi fan des regs marocains, où il lâche fréquemment ses faucons. Il a même lancé au Maroc, un projet d’élevage d’envergure dans le bassin du Guir.

LA CHASSE À L’OUTARDE, DEVENUE INTENSIVE DÈS LE DÉBUT DES ANNÉES 1970, A FINI PAR CONDUIRE À LA RARÉFACTION DE CETTE ESPÈCE PROTÉGÉE

La chasse à l’outarde, devenue intensive dès le début des années 1970, a ainsi fini par conduire à la raréfaction de cette espèce protégée. Le Maroc a néanmoins rattrapé le coup en concluant en une convention avec les Émirats arabes unis pour la création d’espaces de préservation dédiés à cette espèce d’oiseau vulnérable.

Une station d’élevage est ainsi sortie de terre, en 2005, financée par l’Emirates Center for Wildlife Propagation (ECWP) afin de déployer « une stratégie globale de conservation visant à restaurer et préserver les populations naturelles d’outarde houbara d’Afrique du Nord ». Une infrastructure qui permet à l’ECWP de produire, en captivité, plus de 20 000 oiseaux par an. Des animaux destinés à alimenter les quatre sites permanents de lâchers, créés sur la zone de 75 000 km² gérée par l’ECWP dans les régions d’Outat El Haj, de Mâatarka, de Bouarfa et de Tata.

« C’est le triste drame de l’outarde au Maroc : tuée, puis protégée pour être mieux tuée », se désole le docteur Abdelouahed Oufkir, dans la revue spécialisée GéoDév. Pour ce spécialiste du bassin du Guir, « il est temps que les autorités et la société civile fassent en sorte que la chasse pratiquée sur leurs communes, soit contrôlée et coordonnée localement pour mettre fin au braconnage et favoriser la reconstitution de la faune sauvage, dont la population d’outardes. »

Activité économique
Dans les patelins directement concernés, la population est tiraillée entre l’activité économique générée par ces campagnes de chasse et son impact sur leur milieu naturel. Certains évoquent les scandales écologiques comme celui de l’année dernière : les photos d’un groupe de Saoudiens s’affichant avec quelque 1500 tourterelles massacrées en une matinée avait fait le buzz sur les réseaux sociaux.

Les locaux déplorent aussi la création de ces réserves clôturées qui empêchent les nomades éleveurs de chameaux d’accéder à des zones pastorales. D’autres habitants de Bouarfa et Tata trouvent en revanche largement leur compte en travaillant pour le compte des chasseurs durant la saison qui démarre généralement au mois de novembre. « Pourvu que les restrictions du Covid-19 soient levées d’ici-là afin de permettre leur retour », nous lance un commerçant de Tata qui s’est reconvertit en rabatteur à l’occasion de ces parties de chasse du luxe.



« Il fait l’émir chez lui ! », fulminait dans les années 1970, le ministre tunisien de l’Agriculture Hassen Belkhoja qui refusait à un prince saoudien une autorisation de chasse à l’outarde. Un demi-siècle plus tard, l’engouement pour ce gibier est intact : les Saoudiens ont simplement été remplacés par les Qataris.

« Le président Ben Ali, obligé des Saoudiens, tolérait la chasse à l’outarde. De manière tacite, le Sud tunisien était divisé en cinq zones de chasse dédiées spécifiquement à des princes de la famille régnante dont Nayef et Abdallah. Les Qataris se contentaient, eux, d’un petit territoire vers Chott El Garsaa », raconte Adnane, l’un des 142 lanceurs d’alerte qui, chaque année, observe la recrudescence du business de la chasse de l’outarde et de la gazelle.

Braconnage
« Ce n’est pas une chasse mais du braconnage qui ne respecte aucun des rythmes biologiques des animaux », dénonce la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) qui apporte son soutien à Abdelamjid Dabbar, président de l’Association Tunisie Ecologie (ATE), pionnier de la protection des écosystèmes et des espèces dont l’outarde, une variété encore sauvage en Tunisie alors que sa chasse à outrance l’a éradiquée au Maroc et au Moyen-Orient où ne subsistent plus que des oiseaux d’élevage.

Mais rien n’y fait, l’engouement pour l’outarde ne fléchit pas. « La chasse à l’outarde et à la gazelle, telle que pratiquée actuellement n’est pas un sport mais une hécatombe. Ce n’est pas tant l’outarde Houbara qui est recherchée mais son cœur, son foie et sa vésicule biliaire qui auraient des vertus aphrodisiaques », explique Khémaïs, un résident de Douz et grand amateur de chasse. Une promesse-produit qui explique en partie l’attrait exercé par le Maghreb sur ces riches touristes du Golfe, qui ont transformé les classiques parties de chasse en véritables expéditions guerrières.

CE N’EST PLUS DE LA CHASSE MAIS UNE HÉCATOMBE PROGRAMMÉE

Abdelmajid Dabbar témoigne de massacres et de gros moyens : « Ce n’est plus de la chasse mais une hécatombe programmée. Dans cette zone proche de l’Algérie et de la Libye, les Qataris en 2014 avaient à disposition, outre un campement entièrement équipé, un hélicoptère, des rabatteurs, une trentaine de 4×4 et des hummers. » Une partie de chasse qui avait alors obtenu le feu vert des autorités tunisiennes et à laquelle avait participé, selon le journal Akher Khabar, l’émir Tamim Ben Hamad Al Thani avec ses proches Nayef Bin Eid Mohammed Al-Thani et Khaled Bin Ahmed Al-Thani ainsi que des hommes de sa cour.

Le Sheikh Hamad Bin Issa Al Khalifa lors d'un séjour de chasse au Maroc en 2007.
Le journaliste qatari Ali Al-Hilli révèle même que les Qataris disposent depuis 2008 d’une réserve naturelle attitrée dans le désert tunisien. La pratique perdure et agace les citoyens si bien que, questionné par les députés en 2019, Samir Taïeb, ancien ministre de l’Agriculture, a reconnu les incidents. Mais personne ne relève que ces ressortissants étrangers évoluent à leur guise dans une zone frontalière sous contrôle militaire depuis 2013…

Une activité qui ne connaît pas la crise
« Les Qataris arrivent avec tout le nécessaire et leur propre personnel. Les gros porteurs déchargent le matériel à l’aéroport de Tozeur qui devient une base de départ pour ces razzias. En 2011, ils avaient profité de l’aide apportée aux réfugiés de Libye, par des associations caritatives de Doha, pour acheminer aussi des équipements pour la chasse. La crise du tourisme et le terrorisme ne les ont pas empêché d’investir dans un hôtel de luxe en bordure du désert », note un guide de la région, qui évoque également une discrète présence de jeunes femmes, venues de Beyrouth ou de Londres, pour animer les soirées. « Même les faucons sont amenés par avion », souffle-t-il.

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Ainsi la chasse à l’outarde ne permettrait pas, selon les arguments de certains, de préserver l’art de la fauconnerie local. « En Tunisie, cette chasse est typique de la région du Cap Bon et non du désert », explique Abdelmajid Dabbar, qui précise que les coordonnées GPS d’un terrain de nourrissage d’outarde ou de gazelles se négocie entre 70 et 350 euros et qu’un poussin à l’envol s’échange à 90 000 euros.

CERTAINS TUNISIENS ONT FLAIRÉ LE FILON ET OFFRENT AUJOURD’HUI À DES TOURISTES MOINS FORTUNÉS L’OCCASION DE SE PRENDRE POUR DES PRINCES DU DÉSERT

Certains Tunisiens ont flairé le filon et offrent aujourd’hui à des touristes beaucoup moins fortunés l’occasion de se prendre pour des princes du désert. Via internet, des agences de voyage, sans aucune existence légale, se sont spécialisées dans de telles prestations.

Ce n’est qu’à partir des années 1980 que les princes du Golfe, qui jusqu’alors avaient pris leurs habitudes au Maroc et en Tunisie, jettent leur dévolu sur les grands espaces algériens, qui abritent en abondance un gibier dont les princes raffolent : la gazelle dorcas et l’outarde houbara – toujours elle. Deux espèces pourtant dûment protégées par le décret présidentiel du 20 août 1983.

Renvoi d’ascenseur
Mais c’est à la fin des années 1990 que le phénomène prend de l’ampleur, avec l’accession au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika. Écarté du pouvoir à la mort du colonel Houari Boumediene en 1978, le président déchu va ruminer son ressentiment dans les pays fortunés du Golfe, aux Émirats arabes unis en particulier, auprès des émirs pour lesquels il fait office de conseiller.

Se sentant redevable envers ses hôtes qui l’ont entretenu durant ce que l’ex-président algérien a qualifié de « traversée du désert », Bouteflika renvoie l’ascenseur en leur ouvrant le Sahara algérien comme terrain de chasse.

AU TITRE D’AMIS ET D’INVITÉS PERSONNELS DU PRÉSIDENT, LES ÉMIRS DU GOLFE BÉNÉFICIENT EN ALGÉRIE D’UN TRAITEMENT SPÉCIAL

Au titre d’amis et d’invités personnels du président, les émirs du Golfe bénéficient alors en Algérie d’un traitement spécial. Leurs jets privés et leurs avions cargos atterrissent de nuit et dans la discrétion la plus absolue dans les aéroports algériens du sud. Des véhicules 4×4 tout confort et des camions frigorifiques, permettant de conserver le gibier, les rejoignent ensuite par voie terrestre. Avant de débarquer par avions spéciaux avec leurs armadas de serviteurs philippins et pakistanais, ils envoient des émissaires pour repérer les lieux, choisir les meilleurs zones de chasse et installer les campements.

Des Bahreïnis pratiquant la chasse dans le désert.
Au sud, des escortes de la gendarmerie nationale sont mobilisées pour veiller sur leur sécurité et des guides locaux leur sont fournis pour dénicher les meilleurs coins. Ils ont la réputation de payer grassement tous ceux qui leur facilitent l’exercice de leur hobby. Chauffeurs, aide-cuisiniers, mécaniciens, guides, les émirs font souvent appel à la main d’œuvre locale et le simple ouvrier chargé de planter les piquets de leurs tentes peut recevoir jusqu’à 1000 dollars pour cette seule mission. Malgré des salaires élevés par rapport à la moyenne algérienne, les traitements humiliants parfois subis par ces employés les incitent souvent à ne pas renouveler l’expérience.

Une cohabitation pas toujours harmonieuse
À bord de leurs véhicules tout terrains, les princes ont pour habitude d’écumer les étendues désertiques de Djelfa, Biskra, Ghardaia, Laghouat, Bechar, Naama (pour les Émiratis et les Saoudiens) et El Bayadh, (pour les Qataris). Une cohabitation pas toujours harmonieuse tant la compétition pour les meilleures zones de chasse fait rage. À plusieurs reprises, des médiateurs algériens ont dû intervenir pour mettre fin aux disputes entre leurs hôtes de la péninsule arabique.

Les rares personnes qui ont pu les approcher décrivent, là encore, des méthodes de chasse dévastatrices avec des dizaines de véhicules qui ratissent en ligne et saccagent le maigre et fragile couvert végétal. L’outarde est chassée à l’aide de faucons dressés auxquels les émirs accrochent des puces électroniques pour les suivre facilement à bord de leurs luxueux 4×4.

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La chasse est motivée aussi bien par le gibier que par la compétition entre les différents princes. Lesquels font de véritables cartons. Sur un bon terrain de chasse, un seul homme peut abattre 20 à 30 outardes par jour. Pour les gazelles dorcas, une fois repérées, les émirs se contentent de les suivre avec leurs voitures jusqu’à ce qu’elles tombent d’épuisement. Les serviteurs n’ont ensuite plus qu’à les ramasser et à les charger dans les véhicules.

LES POPULATIONS ONT FINI PAR ÊTRE EXCÉDÉES PAR CES PRINCES SANS GÊNE QUI SE COMPORTENT EN PAYS CONQUIS AVEC LA BIENVEILLANCE DES AUTORITÉS

Les émirs ne se contentent pas de chasser les outardes. Leurs œufs font l’objet d’un trafic. Ils sont systématiquement ramassés pour être frauduleusement exportés. Les parties les plus nobles de l’outarde sont congelées sur place pour être offertes une fois les princes de retour dans le Golfe.

Aujourd’hui que cette faune est décimée, deux centres de reproduction, l’un pour l’outarde et l’autre pour la gazelle dorcas ont été installés en 2018 dans la wilaya d’El Bayadh, l’une des meilleures réserves de chasse du pays. Les centres sont entièrement financés par le Qatar. En 2013 et 2014, l’émir du Qatar avait pris ses quartiers d’automne à El Bayadh. De son côté, l’émir de Dubaï Mohammed Ben Rachid Al-Maktoum a fait en 2017 « don » à l’Algérie de 500 gazelles… destinées à être lâchées dans le secteur de Naama et tuées.

Dans les localités du sud, les populations ont fini par être excédées par ces princes sans gêne qui se comportent en pays conquis avec la bienveillance des autorités. Des images de gazelles éventrées et abandonnées dans le désert scandalisent tous les ans l’opinion publique. À Oued Souf, les locaux ont décidé de prendre les choses en main, et s’organisent régulièrement, comme en 2016, pour faire fuir les gazelles hors des zones ratissées par les riches touristes du Golfe.
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